La neutralité, un concept toujours aussi difficile à expliquer et encore plus à pratiquer.

Sanctions contre la Russie : l’éternelle neutralité suisse

Les faits

Comme en 2014 lors de l’invasion de la Crimée, la Suisse semble décidée à ne pas s’aligner sur les sanctions européennes contre la Russie. Officiellement, il s’agit pour elle de maintenir un canal diplomatique avec Moscou. Une position traditionnelle mais qui est de plus en plus contestée.

La Suisse neutre, cela relève du pléonasme. Le pays jouit d’un statut qu’il défend bec et ongles de puissance non alignée depuis le congrès de Vienne en 1815. Cela a même été érigé en doctrine politique, celle des « bons offices », que l’on peut résumer ainsi : « Nous sommes un petit pays qui a peu de chances de peser sur la scène diplomatique mondiale. Dont acte : tâchons au moins de réunir les protagonistes majeurs autour de la table – à Genève idéalement. »

C’est pourquoi le gouvernement fédéral suisse ne semble pas parti pour mettre en œuvre des sanctions contre la Russie, à l’image de celles qui ont été adoptées par l’Union européenne et les États-Unis suite à l’invasion de l’Ukraine. Jeudi 24 février, par l’intermédiaire de son président Ignazio Cassis, le pays a annoncé qu’il ne renierait pas sa neutralité – ce qui « ne veut pas dire indifférence », a-t-il précisé. Il se contentera d’établir une liste de personnes et d’entreprises avec lesquelles il n’est pas possible de nouer de nouvelles relations d’affaires.

Garder le cap

Le pays ne dévie pas du cap fixé en 2014 à la suite de la guerre de Crimée. Il s’était évertué à maintenir une attitude neutre, justifiée alors par le mandat que le pays occupait à la tête de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Comme Ignazio Cassis l’a annoncé, la Suisse s’évertuera simplement, comme il y a huit ans, d’empêcher la Russie de contourner les sanctions européennes par son truchement.i

Pour la Suisse, la neutralité s’accompagne d’un certain pragmatisme. « En règle générale, la Suisse s’aligne sur les sanctions européennes tant qu’elle n’a pas d’intérêts économiques à préserver. Avec la Russie, les relations financières sont importantes, elle ne veut pas les compromettre », analyse Cédric Dupont, professeur à l’Institut de hautes études internationales de Genève.

Aussi, sur les quatorze vagues de sanctions économiques adoptées par l’Union européenne depuis celles qui ont frappé la Yougoslavie en 1998, la Suisse s’est alignée totalement huit fois, a repris les sanctions partiellement trois fois et s’y est opposée trois fois.

Liens économiques avec la Russie

Les liens économiques entre la Russie et la Suisse concernent surtout le secteur de la finance. Un certain nombre d’entreprises russes sont implantées en Suisse comme la société chargée de l’exploitation du gazoduc « Nord Stream 2 » ou la filiale dédiée au négoce du pétrolier Rosneft.

Les services financiers des Suisses sont appréciés. Selon un rapport de la Confédération suisse, daté de 2013, les banques helvétiques servaient d’intermédiaire pour 80 % des transactions relatives aux matières premières russes. Le pays est aussi un lieu de villégiature privilégié par les oligarques et grandes fortunes. En 2018, 15 % des personnes portées sur une liste de proches du Kremlin élaborée par Washington avaient des liens avec la Suisse.

Des sanctions contournées ?

D’après la banque centrale russe, les flux financiers de particuliers à destination de la Suisse ont en effet dépassé les 10 milliards d’euros cette année-là, soit plus du double de ce qui était auparavant la moyenne annuelle. Ces flux sont restés à des niveaux supérieurs depuis.

Relation en suspens

Cette attitude, toutefois, pourrait être compliquée à conserver. « La pression diplomatique sera beaucoup plus forte que pour la Crimée : ce qui se passe aujourd’hui est un cran au-dessus. Il sera plus difficile de ne pas justifier d’un alignement avec l’Europe, d’autant que Poutine ne joue manifestement pas le jeu des “bons offices” », estime le professeur de relations internationales.

« Les relations entre la Suisse et l’Union européenne ne sont pas au mieux sur fond de différends commerciaux : l’Union attend un peu de bonne volonté, la Suisse a l’occasion de montrer qu’elle appartient au bloc européen. Économiquement, elle y a intérêt », conclut-il.

https://www.la-croix.com/Economie/Sanctions-contre-Russie-leternelle-neutralite-Suisse-2022-02-26-1201202312

Il manque comme toujours sur ce genre de sujet plus que délicat une petite précision.

Lorsqu’un bloc décide d’un blocus avec un pays X , et qu’un pays neutre refuse d’appliquer le blocus ou l’applique de manière insuffisante, il permet en effet au pays X de continuer à discuter et à commercer.

La question à se poser est avec qui le pays X continue à discuter et à commercer.

La réponse est en général
– sur le plan diplomatique, il est normal et souhaitable que le pays mis au ban de la communauté internationale puisse encore disposer d’une plateforme neutre pour discuter et essayer de résoudre la crise. ( Innombrables missions dites de bons offices, entre belligérants)
– sur le plan économique ( versement de rétrocommissions, paiement des exportations d’armes vers des pays sous embargo, achat de gaz,….. la réponse fournie par le bloc ayant décidé l’embargo est en général « circulez il n’y a rien à voir »