Armes et paix civile

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/suisse-ou-c-est-que-j-ai-mis-mon-198765

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En France, alors que les violences aux personnes progressent à un rythme alarmant et que les forces de l’ordre se trouvent de plus en plus désarmées – dans toutes les sens du terme – pour y faire face, le débat sur la légitime défense et, conséquemment, sur un accès plus étendu aux armes à feu, surgit parfois dans les conversations quotidiennes.

On songe alors immédiatement (qui a dit trop facilement ?) aux États-Unis, sans jamais ou presque penser à nos voisins Helvétiques. Pour beaucoup, l’ « exemple » étasunien serait la démonstration par A + B qu’accès facilité aux armes à feu rimerait fatalement avec violence endémique et tueries de masse. Pour d’autres, c’est la violence intrinsèque et protéiforme (sociale, ethnique, politique…) et la construction historique particulière (Guerres d’Indépendance et de Sécession, Far West…) de la société américaine qui expliqueraient en premier lieu le nombre faramineux d’homicides que connaît ce pays.

La cas de la Suisse pourrait bien fournir quelques pistes de réflexion à ce débat sur « l’histoire de la violence » : avec un nombre de calibres de toutes sortes en circulation estimé à au moins 3,4 millions1 pour 8,5 millions d’habitants, la République Helvétique détient le troisième taux de possession d’armes à feu au monde, derrière les États-Unis et le Yémen. Pourtant, la Suisse se distingue des États-Unis par un taux d’homicides intentionnels par habitants cinq fois inférieur.

Quels éléments pourraient expliquer le caractère bien plus pacifique de la société suisse, pratiquement « à armes égales » avec la société américaine ?

On pourrait de prime abord penser à la prospérité économique du « suisse moyen » – dont le revenu médian avoisine les 5000 euros/mois – en comparaison aux Américains et à d’autres peuples occidentaux. Encore faudrait-il ne pas négliger la cherté du quotidien de nos voisins, notamment en terme de logement, d’énergie et d’assurances2 dont les coûts varient sensiblement selon les cantons ; nos travailleurs frontaliers ne diront pas le contraire ! On pourrait aussi souligner – ce qui contentera les tenants de la défense sociale3 (plus trivialement connue comme « culture de l’excuse ») – que les inégalités socio-économiques sont moins criantes en Suisse qu’aux États-Unis4, mais là encore les disparités entre cantons sont fortes.

On pourrait penser ensuite à la « neutralité », au caractère par nature plus paisible des Suisses mais qui connaît un peu l’histoire de leur pays sait qu’elle a été jalonnée de grands tourments : de la résistance des tribus Helvètes aux Romains à la guerre de Trente Ans, qui vit la Suisse développer le concept de « neutralité armée », ou encore de la Bataille de Morgarten5, qui se solda par la victoire des armées de milices des Trois Cantons sur les troupes du Duc Léopold de Habsbourg, à la Suisse éphémère protectorat français sous Napoléon Ier…Les ancêtres des Suisses actuels ont été maintes fois en proie aux appétits féroces de leurs puissants voisins et ont connu pléthore de conflits internes.

                              affiches électorales de votations populaires 

Peut-être devrait on penser plutôt aux institutions originales sur lesquelles repose la République Helvétique ? Quid du rôle des votations populaires6 dans la capacité des Suisses à résoudre des conflits internes et dans l’exercice d’une souveraineté et d’une culture civique commune ? 

Quid du rôle du service militaire obligatoire7 en vigueur dans une relative cohésion sociale et dans le maintien d’un sentiment patriotique au sein d’un État pourtant constitué de vingt-six cantons et quatre aires linguistiques et culturelles distinctes ? Quid du fait que la majorité des armes à feu appartiennent à des conscrits ou d’anciens militaires ?

Des secrets de paix civile au pays du secret bancaire ? Vous n’y pensez pas, chers compatriotes ?

 

 1Ce nombre de 3,4 millions correspond aux armes à feu enregistrées et ne prend pas en compte les très nombreuses armes familiales et de collection qui rapprocheraient sensiblement la Suisse du taux de possession d’armes étasunien (environ une arme par habitant).

2https://www.challenges.fr/economie/un-suisse-sur-deux-gagne-plus-de-5-000-euros-par-mois_1833

3https://ledroitcriminel.fr/la_science_criminelle/penalistes/introduction/jeandidier_theories_penales.htm (section 51 – les écoles de la défense sociale)

4http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codeTheme=2&codeStat=PMQUANDL.GINI.V1&codePays=CHE&optionsPeriodes=Aucune&codeTheme2=2&codeStat2=PMQUANDL.GINI.V1&codePays2=USA&optionsDetPeriodes=aucunePrecisions

5http://www.morgarten.ch/fr/geschichte/contexte_et_importance/

6https://www.ch.ch/fr/democratie/droits-politiques/

7http://www.vtg.admin.ch/fr/mon-service-militaire/generalites-concernant-le-service-militaire/dienstpflicht.html