Portrait Livia Leu

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Livia Leu à Paris, la pionnière des femmes diplomates suisses

Elle est devenue la première femme de l’histoire helvétique chargée de représenter les intérêts de son pays en France. En trente ans de carrière, cette Grisonne a connu beaucoup de «premières fois»

A l’entrée de son bureau, les portraits de ses augustes prédécesseurs contemplent les visiteurs. Ils sont 22. Que des hommes. Livia Leu les montre avec malice, mais sans s’appesantir, c’est une diplomate. Alors on commente à sa place, en rappelant des données qu’elle connaît par cœur. La Suisse a ainsi été le dernier pays d’Europe à ouvrir son Département des affaires étrangères (DFAE) aux femmes: en 1956. En France, c’était en 1928. Et jusqu’en 1972 les femmes diplomates n’étaient pas autorisées à se marier, contrairement aux hommes, sans doute au prétexte qu’elles travailleraient moins ardemment en devenant mère.

Madame l’ambassadrice esquisse un sourire: «La carrière diplomatique s’est démocratisée tard et longtemps seules les familles riches avaient les moyens de déléguer un fils à cette fonction où il n’y avait pas de vrai salaire. Et n’oublions pas que les femmes n’ont pu voter qu’à partir de 1971. Les choses ont évolué lentement.» Si paresseusement, même, que sur 155 ambassadeurs en poste, seulement 30 sont des ambassadrices.

Nouveau sourire. «J’ai une carrière suffisamment longue pour avoir vécu l’arrivée de Micheline Calmy-Rey en tant que première cheffe du DFAE. Au début, les hommes ont dû s’habituer, mais elle s’est vite imposée. Actuellement, autant de femmes que d’hommes intègrent la diplomatie, mais la carrière est longue avant d’obtenir un poste d’ambassadrice», précise celle qui préside aussi la commission d’admission au service de la diplomatie et «encourage beaucoup de jeunes collègues en étant disponible quand elles veulent un conseil».Il faut dire que Livia Leu reste un modèle. Suffisamment affable pour taire l’éventuelle fatigue d’entendre ces mêmes questions sur son parcours seulement parce qu’elle est une femme alors qu’on lui rappelle qu’elle fut déjà la première ambassadrice de Suisse à Téhéran, de 2009 à 2013. Elle résume brièvement les compétences qui l’y ont conduite: ex-cheffe adjointe de l’ambassadeur du Caire, puis cheffe de la division politique Afrique-Moyen-Orient et membre de la task force Iran.

«Des amitiés à vie»

A l’époque, quelques critiques désolantes avaient pourtant fusé: «Certaines personnes en Suisse m’ont reproché d’accepter de porter le foulard, mais en Iran, ce n’est pas un choix, c’est la loi. Et puis beaucoup d’Iraniennes m’ont dit apprécier que la Suisse envoie une femme démontrer qu’elles savent assumer ces fonctions. Ma position m’a même permis parfois de bénéficier d’accès privilégiés, car les Iraniens n’aiment pas dire non à une femme.» De ce pays, qu’elle a aimé, autant que l’Egypte, elle a gardé «des amitiés à vie».

Ses nouvelles fonctions ressemblent davantage à la gestion d’une multinationale, avec des relations franco-suisses denses: 40 milliards de francs d’échanges commerciaux en 2018, mais aussi la plus grande communauté suisse de l’étranger à administrer (200 000 personnes), sans oublier 170 000 frontaliers. «Il y a toujours des choses à négocier, comme dans toute relation entre voisins. Et la diplomatie requiert un petit côté hôtelier. Il faut aimer recevoir les gens.»

Elevée à bonne école

L’ambassadrice a été à bonne école, élevée au grand Hôtel Kulm, à Arosa, par des parents hôteliers. «Mon père a accueilli personnellement des gens venant du monde entier. C’était une passion. Elle m’a marquée.» Autant que l’arrivée immuable de la basse saison, quand l’hôtel devient silencieux et que l’ombre des sommets grisons paraît écrasante, faisant germer des envies d’ailleurs. Depuis, ses deux fils et son mari la suivent dans son périple.

Sur Twitter, ce dernier, scientifique engagé dans la biodiversité, se présente comme «époux de diplomate». En septembre, il saluait la nomination de sa femme: «Je suis très heureux d’avoir le privilège de faire partie et suivre de près un processus historique mettant fin à un autre grand bastion masculin qui a envoyé durant deux cent trente ans des hommes, avec la nomination de Livia Leu.» Un conjoint faisant des contorsions de carrière pour privilégier celle de sa femme? Là encore, on salue la modernité. Elle élude: «Aujourd’hui, il y a beaucoup de couples à double carrière, ce n’est plus exotique, même si ça reste un défi.»

Deux mois après leur arrivée à l’ambassade, située dans un hôtel particulier de la rue de Grenelle qui accueillit le commandant des Gardes suisses du malheureux Louis XVI, des «gilets jaunes» éventraient la porte d’un ministère français, dix numéros plus loin. Nouveau vent de révolte en France. Certains Hexagonaux se passionnent même pour les instruments de la démocratie directe, et Livia Leu se voit poser des questions sur le modèle helvétique par des think tanks, des politiques, des médias. Décidée à «montrer l’image d’une Suisse innovante», elle se prête volontiers à l’exercice.

Pas gréviste

Le 14 juin, elle n’a pas fait la grève des femmes. Son métier l’accapare sept jours sur sept. «Je n’ai jamais fait grève et m’investis différemment pour la promotion de la femme, mais chacune doit faire à sa manière. Personnellement, j’ai choisi d’essayer d’occuper des postes qui ne sont traditionnellement pas féminins et de promouvoir les femmes au DFAE, entre autres comme présidente fondatrice du réseau des femmes diplomates.» Et de répondre, avec le même sourire, aux sempiternelles questions sur sa place en tant que femme qu’on ne poserait jamais un homme. Elle a raison, les choses avancent lentement.


Profil

1989 Brevet d’avocate à Zurich et entrée au DFAE.

1994 Premier poste diplomatique à l’étranger: mission suisse auprès de l’ONU, à New York.

1999 Naissance de son premier fils.

2009 Premier poste d’ambassadrice à Téhéran, chargée de représenter les intérêts des Etats-Unis.

2019 Première ambassadrice de Suisse à Paris.

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