Déconfinement vu par Alain Berset

Déconfinement en Suisse : « Nous sommes très prudents », estime Alain Berset sur TV5MONDE

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Le Conseil fédéral suisse a annoncé un déconfinement « lent » et « progressif » à partir du 27 avril. Quelles mesures de déconfinement vont être prises ? À partir de quand les frontières suisses vont-elles rouvrir ? Alain Berset, conseiller fédéral et ministre de la Santé suisse, répond aux questions de TV5MONDE. Entretien.

TV5MONDE : Le Conseil fédéral a présenté hier sa stratégie de déconfinement – trois étapes à partir du 27 avril. Vous êtes donc optimiste sur la maîtrise de la pandémie en Suisse ? Vous ne redoutez pas de deuxième vague ? 

Alain Berset : Nous sommes très attentifs. Nous allons commencer le 27 avril avec des pas qui sont très limités. D’ailleurs beaucoup chez nous disent que c’est trop peu. Nous souhaitons être très prudents. Naturellement nous regardons ce que font les pays qui nous entourent puisqu’il ne saurait être question de développer des solutions qui créent des tensions, notamment sur le plan des populations qui vivent proches de la frontière.

Nous avons beaucoup de contacts avec les pays voisins. Nous sommes très attentifs à cette question et nous essayons d’avancer avec une très grande prudence.

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La Covid-19 a frappé différemment en Suisse selon les cantons. La Suisse alémanique est moins impactée que la Suisse dite latine (Tessin, Vaud Genève). Comment l’expliquez-vous ? 

C’est très difficile à expliquer. Nous avons constaté une situation relativement similaire en Europe. Les explications sont peut-être liées à des manières de vivre en société un peu différentes.

D’une part nous constatons qu’on a plus souvent des générations qui vivent mélangées dans la partie latine du pays. C’est certainement le cas au Tessin et en Suisse romande plus qu’en Suisse alémanique où l’on vit de manière peut-être un peu plus séparée.

D’autre part le Tessin, et sa proximité avec la Lombardie, est très proche des grands problèmes tels qu’ils se sont développés à la fin du mois de février. Le Tessin a été naturellement fortement concerné aussi parce qu’il y a beaucoup d’échanges de populations et de contacts car nous sommes des amis et des voisins et nous nous connaissons bien. Tandis qu’en Suisse alémanique, les mesures qu’on a prises ont probablement porté effet à un moment où cela n’avait pas encore commencé. Cela explique peut-être la différence. Ces différences régionales existent aussi dans tous les pays.

Nous devons travailler ensemble pour dépasser cette situation même si les frontières sont fermées.

Alain Berset, conseiller fédéral et ministre suisse de la Santé

 À partir de quand les frontières avec les pays voisins seront-elles à nouveau ouvertes ? Avez-vous davantage de contact pour ces réouvertures avec l’Allemagne et l’Autriche moins touchées par la pandémie qu’avec la France et l’Italie qui le sont plus ?

Nous sommes très prudents. Actuellement il s’agit d’une situation inédite si on pense aux dernières décennies avec les frontières à ce point fermées entre nos pays, alors que nous avons de multiples contacts sur les plans culturel, économique et social.

Nous nous connaissons bien dans les régions de Bâle, de Genève, où la France et la Suisse, ou la Suisse l’Allemagne et la France sont complètement imbriquées. Les frontières fermées c’est quelque chose de très particulier. Ce n’est certainement pas quelque chose que l’on va rouvrir en premier alors nous allons devoir nous coordonner avec les pays voisins.

Nous sommes en étroit contact. La Suisse n’est pas membre de l’Union européenne mais quand il y a une crise, la question n’est plus tellement de savoir qui a accès à quoi comme information, nous travaillons ensemble, il y a eu aussi des gestes de solidarité. Nous devons travailler ensemble pour dépasser cette situation même si les frontières sont fermées. Il ne faut pas imaginer que nous puissions régler des situations pareilles en voulant les régler seulement sur le territoire national.
 

Membre ou pas, naturellement nous sommes très conscients de tout ce que la construction européenne a apporté au continent.Alain Berset, conseiller fédéral et ministre suisse de la Santé

La Suisse ne fait pas partie de l’Union européenne. On a pu constater les limites des 27 en matière de solidarité européenne, vis-à-vis de l’Italie et de l’Espagne. Êtes-vous inquiet pour l’avenir de l’Europe ?

Ce n’est pas à moi de faire le commentaire. Nous sommes très conscients en Suisse que nous sommes situés au cœur du continent européen, au cœur de la géographie européenne. C’est la raison pour laquelle même si nous ne sommes pas membres de l’Union européenne, nous avons développé depuis très longtemps non seulement une amitié très profonde mais aussi des contacts très étroits.

On a plus de 120 accords bilatéraux qui règlent énormément de choses entre nos pays, ce qui fait d’ailleurs que les analyses ont pu démontrer ou montrer que la Suisse est de facto un pays extrêmement bien intégré dans le contexte européen mais sans avoir la participation et les droits politiques qui sont liés.

Je crois que l’Union européenne est une réalité, qui s’est développée dans un contexte historique relativement fragile dans la première moitié du XXe siècle. L’Union européenne a toujours été très résiliente et a su faire face à ses crises. Nous avons déjà entendu à plusieurs reprises les Cassandre nous dire : « L’Union européenne va s’effondrer et tout va disparaître ».

Nous sentons bien que dans un monde comme aujourd’hui, qui est ouvert avec beaucoup de contacts, qu’avoir un cadre clair pour ses contacts est très important. Alors membre ou pas, naturellement nous sommes très conscients de tout ce que la construction européenne a apporté au continent. 

Existe-t-il un modèle suisse dans la gestion de la lutte contre la Covid-19 ?

La Suisse est un pays avec quatre langues nationales, malgré un territoire pas très grand, et des différences régionales très fortes, notamment aussi avec la présence des Alpes. La Suisse alémanique et la Suisse romande ce n’est pas la même chose. Nous avons des attaches très fortes avec la France du côté de la Suisse romande. Très fortes avec l’Italie et le Tessin. Très fortes avec l’Allemagne et l’Autriche dans la partie germanophone.

Pour nous l’enjeu c’est toujours de réussir à faire une forme de synthèse des mesures qui s’appliquent sur l’ensemble du pays. Ce n’est pas évident. C’est un exercice d’équilibrisme particulier et nous avons, comme certainement tous les pays l’ont fait, développé un modèle qui convienne à notre système institutionnel et à cette diversité linguistique régionale que nous avons. Résultat, nous avons des mesures très proches de ce que d’autres pays ont fait, mais nous ne les avons pas forcément mises en œuvre dans les mêmes délais et expliquées de la même manière.

C’est aussi la richesse de la diversité sur le plan européen de voir comment nous nous adressons à nos populations et comment nous pouvons faire pour trouver ensemble un chemin, non seulement comme société pour la Suisse, mais aussi comme communauté pour traverser cette période. 

Ce déconfinement progressif et contrôlé ne rend pas possibles les compétitions sportives et les grands festivals de musique de cet été. C’était inévitable ? 
Nous n’avons pas encore pris de décision formelle à ce sujet. En réalité, le gouvernement va se repencher sur cette question dans ces deux prochaines semaines. Nous essayons d’être très prudents dans la sortie de la crise.

Nous sentons bien que ce qui pourrait créer le plus de difficultés par rapport à l’épidémie, ce sont les grands rassemblements de personnes, où l’on est très proches des uns des autres. Ce sont évidemment les grands événements sportifs, les grands festivals culturels. Et là c’est difficile. Nous sommes dans cette situation depuis six ou sept semaines. Cela paraît une éternité.

Si on se projette dans les six ou sept prochaines semaines, on sera à peine à début juin et on nous demande des certitudes pour juillet ou pour août. Je comprends que tout le monde souhaite avoir des certitudes et des réponses. Mais nous devons apprendre à gérer l’incertain, à vivre et à développer une politique dans une situation incertaine. On ne connaît pas tout.

Ces mesures pourront être pour les grandes manifestations les dernières à être levées et je crois que les organisateurs le remarquent. Ils ont même de la peine à avoir les participants internationaux, qui viennent. Il y en a beaucoup qui annulent leurs tournées sur le plan musical. Tout cela va nous donner un été un peu particulier et relativement compliqué à gérer. Mais nous devons traverser cela ensemble. Xavier Marquet