Recettes de succès

LA SUISSE ou le bonheur d’entreprendre

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La Suisse, grande puissance économique accueille les investisseurs du monde entier
La Suisse, grande puissance économique accueille les investisseurs du monde entier (Crédits : GGB)
Le GGBa, Greater Geneva Bern area, est un organisme destiné à accompagner les candidats à l’investissement en Suisse occidentale. La Suisse, petit territoire mais grande puissance économique, accueille les investisseurs du monde entier porteurs de projets innovants.

Entretien avec Thomas Bohn, directeur général du GGBa

Comment peut-on mesurer l’attractivité économique de la Suisse ?

La Suisse est un pays performant et en même temps un modèle de réussite sociale : le taux de chômage, qui est un indicateur observé partout dans le monde, y est de 3 %. Plus significatif encore, le chômage des jeunes y est le plus bas d’Europe. C’est une économie qui attire, année après année, des entre-prises du monde entier qui viennent bénéficier de conditions-cadres particulièrement favorables.

Votre démarche est qualitative, ciblée ?

Oui, notre démarche vise à attirer les projets économiques les plus innovants. Nous avons une approche très ciblée, et les projets identifiés doivent être en adéquation avec le modèle suisse. Nous identifions les sociétés compatibles avec l’écosystème suisse et nous les approchons. Notre démarche n’est pas quantitative. Au contraire : nous visons uniquement des investissements économiques solides et créateurs de valeur.

Qui sont les administrateurs du GGBa ? La Suisse est une confédération de 26 cantons. Les ministres de l’Économie des six cantons de Suisse occidentale, à savoir Berne, Fribourg, Vaud, Neuchâtel, Genève et Valais composent le conseil d’administration du GGBa. La Suisse est un petit pays par sa superficie (42 000 kilomètres carrés) mais c’est une puissance économique majeure. Le territoire du GGBa représente 40 % de la population (8,5 millions d’habitants au total) et du territoire.

On a tendance en France à regarder du côté de l’Allemagne et à considérer que la Suisse est victime de sa taille et de sa monnaie…

Sur le papier, on peut se dire que la force de la monnaie, la petite taille du marché intérieur et le coût du travail sont des handicaps. Nous en avons fait des forces. La Suisse gagne un franc sur deux à l’export, et le franc fort a incité encore plus les entreprises à innover, que ce soit au niveau des produits ou des processus industriels. Ce qui pouvait être perçu comme une série de faiblesses n’empêche pas le succès économique mais rend au contraire inventif.

Comment l’expliquer ?

Les Suisses sont pragmatiques. C’est un trait de caractère fort. Nous préférons toujours les solutions négociées aux rapports de force. Le droit du travail suisse est libéral. Quand, en 2015, l’euro s’est affaibli en renforçant du coup le franc suisse, bon nombre d’entrepreneurs et de salariés ont considéré la situation et ont abouti à un consensus pour travailler un peu plus à salaire égal. La semaine de travail est en moyenne de 42 heures et les congés payés sont légalement de quatre semaines par an. Toutes les forces sociales ont estimé qu’un bon compromis permettrait de surmonter l’écueil monétaire. Je vais vous citer un exemple de concorde sociale qui en dit long. En 2012, une votation a été organisée pour allonger les congés payés à six semaines. Aux deux tiers, les électeurs suisses ont dit non. Les Suisses aiment les vacances, comme tout le monde, mais ils ont estimé que cette mesure pouvait compromettre le succès économique du pays et menacer leur bien-être social.

Quel est le rôle d’orientation de la puissance publique sur l’économie ? Un SMIC vient d’être introduit en Suisse ?

Le pouvoir est assuré au niveau des cantons selon le principe de subsidiarité. La bonne gouvernance s’exprime dans la proximité, et le modèle politique suisse privilégie la démocratie directe. Il n’y a pas de SMIC en Suisse, comme il en existe un en France. Par contre, un salaire minimal vient d’être confirmé dans un canton, faisant suite à une votation qui avait eu lieu en 2011.

Y aura-t-il des conséquences pour la compétitivité des entreprises concernées ?

Le niveau des salaires est élevé, cependant les cotisations qui pèsent sur le travail sont modestes : grosso modo 15 % à la charge des employeurs et 15 % à la charge des salariés. Finalement, le coût total du travail est faible au regard du temps de travail effectif, et nous pouvons nous adosser à un niveau d’éducation élevé. La philosophie des Suisses est simple : on n’a rien sans rien. Nous avons collectivement une éthique du travail. L’état d’esprit du corps social est incontestablement un facteur de succès durable.

Reste tout de même l’étroitesse du marché intérieur.

La Suisse est un marché de 8,5 millions de consommateurs à fort pouvoir d’achat. C’est loin d’être négligeable. C’est aussi un pays multiculturel. On peut y tester des produits ou des services sur un marché échantillon de trois cultures de consommation différentes

Comment définiriez-vous les principaux points forts du pays ?

En premier lieu, la Suisse est le pays le plus libéral d’Europe. C’est un espace de liberté d’entre-prendre. Les pouvoirs publics se sont donnés pour objectif d’offrir des conditions-cadres favorables à l’entrepreneuriat. La question s’est posée de savoir si l’État devait subventionner lourde-ment l’innovation comme en France. La réponse a été négative car nous savons que pour « donner à Paul, il faut prendre à Pierre ». La Suisse n’est pas un pays pour les chasseurs de primes, mais le candidat à l’investissement va y trouver une paix sociale mutuellement profitable (le dernier grand conflit social remonte aux années 1930 !) et un marché libre et ouvert.

Comment parvenez-vous à dégager des excédents commerciaux aussi spectaculaires ?

La Suisse est ouverte sur le monde, c’est ainsi le seul pays d’Europe à avoir signé un accord de libre-échange avec la Chine. Elle n’est pas seulement le pays du chocolat et des montres, même si l’horlogerie représente 10 % des exportations ! Contrairement aux idées reçues, la Suisse est un pays industriel, et nous avons dans nos montagnes des champions mondiaux, grands groupes ou PME dans des secteurs aussi divers que la chimie, le medtech, la machine-outil et la plasturgie. Nous avons lancé l’industrie 4.0 pour imaginer dès aujourd’hui les modèles de création de valeur du futur.

Et quelle est la structure de votre appareil industriel ?

Nous sommes majoritairement un pays de PME. La majorité des entreprises que nous accompagnons dans leur installation en Suisse sont d’ail-leurs des entreprises de taille moyenne. La Suisse n’est pas inaccessible pour les PME dès lors qu’elles ont un projet innovant. Nous n’irons jamais en France chercher des entre-prises en leur disant que c’est mieux chez nous.

Nous offrons simplement un cadre accueillant et un accès aux savoir- faire. Je pense par exemple au CSEM, le Centre suisse d’électro-nique et de microtechnique qui est devenu un centre mondial de la miniaturisation, et à l’EPFL, qui travaillent avec les entreprises sur des projets de vêtements intelligents ou de drones par exemple. Sans parler de nos universités, et de nos écoles d’ingénieurs, les Hautes écoles spécialisées.

Les entrepreneurs français sont très sensibles au contexte fiscal. Comment définiriez-vous le vôtre ?

D’abord une philosophie simple : les entreprises en Suisse considèrent le fisc comme un partenaire. Elles vont chercher de l’information et des conseils auprès de l’administration fiscale. La présomption de bonne foi s’impose. Pour autant, la Suisse n’est pas un paradis fiscal. Nous réformons notre fiscalité suite aux discussions avec l’Union Européenne et l’OCDE. Le taux fédéral de l’impôt sur les sociétés est de 8,5 %. Les cantons ajoutent leur part pour aboutir selon les régions à un taux effectif global de 12 à 24 %. À partir de 2019, les statuts particuliers actuels disparaîtront au profit de taux encore plus intéressants.

Le modèle politique fédéral joue-t-il un rôle dans la prospérité du pays ?

Je pense que c’est le cas. La présidence est tournante. Le pouvoir n’est pas personnifié. C’est le principe de collégialité qui prime. J’y vois une garantie de neutralité, de stabilité et d’impartialité. Le modèle de gouvernance évite les pièges et les arrière-pensées politiciennes. Les Suisses ne sont pas lents, leurs décisions sont par contre mûrement réfléchies. Chez nous, la rétroactivité des lois n’existe pas. La prévisibilité du système poli-tique est un atout important pour l’économie.