Ca(ch)ophonie sur le Covid

Covid : cacophonie générale en Suisse

Chacun des 26 cantons de la Confédération édicte ses propres règles sanitaires face à l’épidémie. Pendant ce temps-là, la situation se détériore.

Les Genevois vont se faire couper les cheveux dans le canton de Vaud, les Neuchâtelois s’attablent dans les restaurants à Berne, et les Bernois vont à la salle de sport à Soleure, résume un quotidien de Lausanne pour expliquer la cacophonie qui règne actuellement en Suisse.

Lors du premier confinement, c’est le Conseil fédéral (gouvernement) qui avait pris la main et l’épidémie avait été plutôt bien maîtrisée. Mais aujourd’hui, chaque canton prend souverainement ses décisions, et c’est la catastrophe. Ce petit pays de 8,5 millions d’habitants a enregistré en une seule journée 5 086 nouveaux cas de contamination et 117 décès. La situation est d’autant plus compliquée que certaines communes sont enclavées dans le canton voisin, comme la genevoise Céligny dans le canton de Vaud, ou Raach, commune du canton de Saint-Gall, isolée dans celui de Thurgovie

Pour freiner cette cacophonie, les cantons francophones avaient décidé d’harmoniser leurs règles sanitaires et d’ouvrir jeudi 10 décembre leurs restaurants et leurs bars jusqu’à 23 heures. Seul le Valais montrait sa (petite) différence en choisissant la date du 14 décembre. Chez les Alémaniques en revanche, chacun continue à tirer sur la corde. Quand l’un déconfine, son voisin reconfine. Les Soleurois, Argoviens, Thurgoviens et Appenzellois n’ont ainsi jamais cessé de fréquenter les restaurants. « Dans un tel système, les incitations sont fortes pour les cantons d’adopter une attitude passive, dans l’espoir peut-être que les régions voisines réagissent plus rapidement et que cela avantage son propre canton », constate Jan-Egbert Sturm, directeur du centre de recherches conjoncturelles de l’École polytechnique de Zurich, dans le quotidien Le Temps.

Une réouverture de… 48 heures

« Nous n’avons pas non plus le même mode de vie, un Alémanique a fini de dîner à 19 heures, alors qu’un Romand [un francophone] n’arrive pas au restaurant avant 20 heures, et je ne parle pas des Tessinois [un italophone], ils débarquent juste avant la fermeture », souligne le patron d’un grand établissement genevois près de la gare Cornavin. Bref, le système fédéraliste concurrentiel semble mener à la pagaille intégrale. Résultat, le socialiste Alain Berset, le ministre fédéral de la Santé (et par ailleurs ministre de l’Intérieur), a décidé de reprendre la situation en main, annonçant que les chiffres de la pandémie ne permettent pas de desserrer la vis, bien au contraire. Ce francophone (il est élu du canton de Fribourg) n’a pas hésité à remettre en cause les réouvertures de jeudi dans les cantons francophones…

Que devrait annoncer Alain Berset ? Vraisemblablement que les restaurants devront fermer à 19 heures, alors que depuis jeudi, après une fermeture de sept semaines, ils sont ouverts jusqu’à 23 heures sur les bords du lac Léman et dans le Jura ! Que les activités culturelles, cinémas, musées, spectacles, discothèques, resteront interdites jusqu’en janvier, que les réunions privées seront limitées à cinq personnes au maximum, que dans les magasins, il faudra compter un espace de 10 m2 par client, contre 4 m2 actuellement. Imaginez la colère d’un patron de café qui a ouvert son établissement jeudi et qui devra le refermer deux jours plus tard ! Dans la cité de Calvin, 30 % des bars ont déjà mis la clé sous la porte.

Le fossé du rösti

Il n’en faut pas davantage pour que l’on ressorte le « Röstigraben », comprenez le fossé du rösti. Le rösti étant une galette de pommes de terre, un plat typique de Suisse alémanique qui a donné son nom à la frontière symbolique séparant les francophones des germanophones. « Pour de nombreux Romands [francophones], les bons élèves font les frais des cancres alémaniques », dénonce La Tribune de GenèveMarianne Maret, députée du canton du Valais, parle de « punition collective », Mauro Poggia, le ministre genevois de la Santé, dénonce l’« irrespect » du gouvernement fédéral. Jacques Gerber, ministre de la Santé du canton du Jura, est quant à lui « amer », constatant que le gouvernement « nous met devant le fait accompli ».

C’est encore pire pour le canton de Fribourg qui vient tout juste d’annoncer la réouverture des cinémas, des théâtres, des salles de spectacle et de concerts, des patinoires. Les francophones n’ont pas tout à fait tort, les cantons les plus touchés par le coronavirus sont ceux de Saint-Gall, de Bâle-Campagne et de Bâle-Ville, et celui du Tessin, qui parlent allemand et italien. Mais comme rien n’est jamais simple en Suisse, alors que les cantons francophones ont demandé au Conseil fédéral (gouvernement) en termes polis « d’adoucir les mesures envisagées », le canton de Genève n’a pas signé le communiqué commun, expliquant qu’il « n’aime pas travailler dans la précipitation ».


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