Frontalier oui .. MAIS

Travailler en Suisse et vivre en France : est-ce vraiment le bon plan pour mieux gagner sa vie ?

Plus de 191.500 personnes résident en France et exercent chez nos voisins helvètes. Avec ses salaires élevés, la Suisse est-elle un eldorado pour les frontaliers ? Quelques éléments de réponse.

Par Chloé MarriaultPublié le 1 oct. 2021 à 17:56Mis à jour le 1 oct. 2021 à 19:01

« A poste égal, certains Français qui viennent travailler en Suisse voient leur salaire doubler ou tripler par rapport à ce qu’ils avaient dans l’Hexagone », observe Alexandra Marchand, conseillère au sein du Groupement transfrontalier européen (GTE), une association de transfrontaliers franco-suisses forte de 30.000 adhérents.

Au regard du coût de la vie en Suisse, nombre de travailleurs préfèrent être domiciliés en France. Ils sont actuellement un peu plus de 191.5001 à faire la navette pour exercer leur métier. C’est 85 % de plus qu’il y a quinze ans (ils étaient environ 103.300 en 2006).

Ce mode de vie à cheval sur la frontière est-il vraiment une bonne opportunité pour avoir une rémunération intéressante et pouvoir épargner ? Voici ce qu’il faut avoir en tête avant de sauter le pas.

Emploi et rémunération

Le marché de l’emploi en Suisse est dynamique, et le taux de chômage moins élevé qu’en France : il était de 5 % de la population active au deuxième semestre 2021, contre 8 % dans l’Hexagone2.

Le pays a beau être notre voisin, le quotidien au travail est bien différent. Niveau rythme, les actifs avec un contrat à temps plein travaillent en moyenne 41,4 heures par semaine.

Et côté rémunération ? En 2018, le salaire mensuel médian en Suisse, tous secteurs et profils confondus, était de 6.538 francs suisses3, soit environ 6.030 euros. Mais attention, il ne faut pas croire que c’est l’opulence pour tous les frontaliers, met en garde David Talerman, auteur de « Travailler et vivre en Suisse »

« Pour les métiers les moins qualifiés, les différences de salaire avec la France sont moins importantes que sur des profils de cadres ou de professions manuelles recherchées, dans le chauffage ou le bâtiment par exemple, précise ce spécialiste de l’expatriation et de l’emploi en Suisse. Aussi, certains employeurs font le choix, à poste égal, de moins rémunérer les frontaliers car ils savent que le coût de la vie est moins élevé en France. Ils voient cela comme une mesure d’équité. »

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En Suisse, cinq cantons (sur 26) ont adopté un salaire minimum légal : Neuchâtel, le Jura, Genève, Bâle-Ville et le Tessin. C’est à Genève que celui-ci est le plus élevé, avec 4.111 francs suisses brut mensuels par mois (pour un contrat de travail à temps plein de 41 heures par semaine). Cela représente environ 3.800 euros. Soit plus du double du Smic en France, qui est de 1.589 euros brut pour un contrat de 35 heures.

Autre fait à avoir en tête lorsqu’on souhaite exercer dans la confédération helvétique : là-bas, un employeur peut licencier un salarié de manière assez abrupte, sans avoir à justifier d’un motif spécifique (le salarié peut toutefois le demander), ni payer d’indemnité.

« Certains frontaliers tombent de haut quand cela leur arrive et qu’ils ne l’avaient pas vu venir, remarque Alexandra Marchand. Mieux vaut épargner un peu chaque mois pour avoir un matelas de secours. » A noter : un frontalier qui se retrouve au chômage total après avoir exercé en Suisse bénéficie d’indemnités de Pôle emploi en France.

Logement

« Un employeur peut vous proposer un salaire qui peut vous sembler élevé par rapport à ce que vous aviez en France mais il ne faut pas s’emballer. En effet, le logement peut représenter une dépense très importante », avertit David Talerman.

Exemple avec quelques communes situées à la frontière, non loin de Genève. A Annemasse (près de 38.000 habitants), au 1er octobre 2021, il faut compter 3.324 euros le mètre carré pour l’achat d’un bien immobilier, d’après Meilleurs Agents. A deux pas, dans le bourg d’Etrembières, on monte à 4.451 euros le mètre carré. Et à Saint-Julien-en-Genevois (15.000 habitants), à 4.560 euros. Des tarifs plus élevés que la moyenne nationale, où le prix du mètre carré est de 2.959 euros.

« Ces sommes sont proches de ce qu’on peut voir dans les grandes villes, observe Meilleurs agents. A Marseille, le mètre carré est à 3.370 euros. A Lille, à 3.395 euros. A Rennes, à 4.030 euros. A Nice, à 4.700 euros. »https://6deda0ae163c4fe32bfc67f2780128a2.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html

Transports

Trains, bus, voiture, bateau… Les options pour aller au travail sont variées. « Il faut bien réfléchir à la question du transport au moment où l’on choisit l’endroit où l’on souhaite résider, recommande Alexandra Marchand. Si l’on s’éloigne de la frontière pour avoir un logement moins cher et qu’on passe quotidiennement deux heures en voiture pour aller et venir du travail, on risque d’accumuler la fatigue. » Et mieux vaut ne pas être rebuté par un trafic routier congestionné aux heures de pointe. « Certains jours, lorsque peu de postes de douane sont ouverts à la frontière, le temps de trajet peut être allongé à cause d’engorgements », détaille-t-elle.

Plutôt que la voiture, certains frontaliers préfèrent prendre le train. Inauguré en décembre 2019, le réseau ferroviaire du Léman Express dessert 45 gares en Suisse et en France et a facilité la vie de nombreux « pendulaires ».

Impôts sur le revenu

En Suisse, chaque canton décide de sa fiscalité. Selon le canton où l’activité est exercée, l’impôt sur le revenu est acquitté en Suisse ou en France. Le plus intéressant si l’on a de hauts revenus ? Prenons l’exemple d’un salarié français au statut de célibataire, sans enfant, qui travaillerait à Genève – territoire où l’impôt est prélevé à la source.

« Pour un salaire d’environ 65.000 francs suisses annuels (environ 60.000 euros), le taux d’imposition est approximativement de 11 %. Avec un revenu de 100.000 francs suisses (environ 93.000 euros), il passe à 16 % », indique Alexandra Marchand. Comparons avec la France. De 25.711 euros à 73.516 euros, le taux d’imposition est de 30 %. De 73.517 euros à 158.122 euros, de 41 %. « En résumé, un travailleur avec les rémunérations précitées est nettement avantagé en étant imposé à Genève plutôt qu’en France », poursuit-elle.

Assurance santé

Les frontaliers ont le choix entre le régime suisse (LAMal) et l’affiliation à l’assurance maladie française (la CMU pour les frontaliers). « Ces systèmes sont très différents, mais les critères à prendre en compte sont globalement la taille de la famille et l’état de santé des assurés. Finalement, ce choix procure aux frontaliers un avantage que les résidents en Suisse n’ont pas », explique David Talerman.

Intégration

Pour lui, il est primordial que les actifs transfrontaliers fassent au mieux pour s’intégrer. « On partage la même langue avec la Suisse Romande mais la culture est à bien des égards plus proche de la celle du Japon que de la France. Beaucoup de Français ne comprennent pas qu’ils ne sont pas chez eux et qu’ils doivent adapter leur comportement au territoire », avance-t-il.

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Il observe que la position de ces travailleurs n’est pas non plus évidente en France. « Dans les régions où ils sont installés, ils sont vus comme des privilégiés par ceux qui travaillent en France et qui ont un pouvoir d’achat moins important », note-t-il.

Il faut dire que dans certaines villes, les différences de revenus sont criantes. Exemple avec Annemasse, qui décroche la 4e place des villes les plus inégalitaires de France, derrière Neuilly-sur-Seine, Paris et Boulogne-Billancourt. Dans cette commune de Haute-Savoie, les 10 % des habitants les plus modestes vivent avec au mieux 800 euros par mois, d’après le dernier rapport de l’Observatoire des inégalités, publié en juin 2021. A l’inverse, 10 % les plus riches gagnent au minimum 4.200 euros. En 9e position de ce classement : la ville de Saint-Louis (Haut-Rhin), à la frontière avec Bâle.

Alors, résider en France et travailler en Suisse, verdict ? « Le rythme de vie d’un frontalier est particulier et ne convient pas à tout le monde, souligne Alexandra Marchand. Mais globalement, les pendulaires qualifiés bénéficient de bonnes conditions de travail, d’un cadre de vie agréable entre lacs et montagnes et de rémunérations qui permettent d’augmenter leur niveau de vie. »

1 Au 2e trimestre 2021 et 2006, d’après les chiffres de l’Office fédéral de la statistique.

2 A l’issue du 2e trimestre 2021, chiffres du chômage selon la définition du Bureau international du travail (BIT).

3 D’après les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique, qui communique seulement le revenu médian et non moyen.

Chloé Marriault

https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/salaires/travailler-en-suisse-et-vivre-en-france-est-ce-vraiment-le-bon-plan-pour-faire-de-largent-1351398