Un discours de 1er Août qui sort du conventionnel

Guillaume Tell, la numérisation et la Suisse d’aujourd’hui

Berne, 01.08.2017 – Discours du 1er août 2017 à Riddes VS – Allocution du conseiller fédéral Johann N. Schneider-Ammann, Chef du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche DEFR

Le 1er Août s’accompagne de deux traditions. Il crée une ambiance festive dans tout le pays, notamment ici, chez la famille Dorsaz, qui régale aujourd’hui ses hôtes des spécialités de sa production pour la dixième année. Je vous remercie chaleureusement. Il fait bon être chez vous, dans une exploitation qui allie famille, entrepreneuriat et qualité.

Mais, le 1er Août est aussi placé sous le signe de nombreux discours sur nos origines, notre présent et notre avenir. La plupart du temps, ces discours sont beaucoup trop longs, les bancs trop durs et le brunch beaucoup trop appétissant.

Les orateurs l’oublient facilement, pris dans le feu de l’action. Mais n’ayez crainte, je serai bref. Nous, conseillers fédéraux, devrions savoir que, en Suisse, c’est le peuple qui a toujours le dernier mot, et non celui qui se tient derrière le pupitre.

Le jour de la fête nationale, sérieux et allégresse se côtoient. Le bon compromis fédéral veut que les discours viennent en premier, puis qu’ils soient suivis du feu d’artifice. Et les compromis ne font-ils pas partie de notre culture politique ?

« Culture politique », qu’est-ce que cette notion recouvre exactement? Et qu’est-ce que la culture, au juste? Spontanément, on répondrait que la culture, c’est ce qui se développe naturellement, ce qui relève de l’inné.

Mais cette définition est trop simpliste. La culture n’est pas naturelle. La culture, justement, n’apparaît pas spontanément. Il faut l’acquérir avant de pouvoir la valoriser. Cultiver, ce n’est pas simplement attendre.

L’agri-culture, par exemple, a commencé lorsque les hommes ont transformé les terres sauvages en champs. Toutes les belles cultures potagères et fruitières de la famille Dorsaz ne sont pas apparues toutes seules, mais sont le résultat d’un dur labeur. Nous avons ici un parfait exemple.

Les marais ou les pierriers ne sont pas des cultures; les cultures, c’est ce que nos ancêtres en ont fait et ce que les paysans d’aujourd’hui en font et en feront. Malgré l’ouverture du marché et la mondialisation. Avec un esprit pionnier et novateur, comme celui de la famille Dorsaz. En utilisant des technologies modernes. En se formant et en se perfectionnant. Et avec le soutien de la Confédération, et avec elle celui de la population.

La culture n’apparaît pas d’elle-même, elle naît d’une volonté. Elle doit être développée et, pourrait-on dire, cultivée. Enfin, la culture politique de la Suisse n’est rien d’autre que la volonté commune de maintenir la cohésion de notre pays en dépit de nos différences. Un pays qui, sans frontières naturelles, fascine par sa diversité, tant linguistique que religieuse.

Arrêtons-nous un instant sur la question suivante : pourquoi les Valaisans, les Argoviens, les Thurgoviens et les Tessinois veulent-ils vivre ensemble et se sentent-ils tous suisses, même si les Alpes pourraient les diviser ?

Parce que notre pays ne s’est pas fait en un jour, mais s’est construit peu à peu. La Suisse ne s’est pas formée à cause d’un sentiment de proximité, mais parce que les cantons d’aujourd’hui n’ont pas voulu faire partie de la Savoie, de la Lombardie ou de la Bavière, et ont refusé de céder à la mainmise des Habsbourg. La Suisse est née de la volonté des cantons de ne pas appartenir à un grand empire, mais de rester libres. 1291 a juste marqué le commencement. Berne, par exemple est entré dans la Confédération en 1353, le Tessin, la Thurgovie, Vaud
et Saint-Gall en 1803, et le Valais et Genève en 1815 seulement.

La Suisse s’est développée loin des grands centres de pouvoir. Et le fait que quinze cantons soient des cantons frontaliers fait aussi partie de notre culture. 

Une chose nous a toujours reliés: nous savons que la population d’un petit pays doit porter une charge que les grandes puissances peuvent répartir sur un bien plus grand nombre d’épaules. Cela donne plus de force à la solidarité. Nous devons en outre faire face à des concurrents puissants à l’étranger. C’est notamment le cas des petites régions frontalières. Le Conseil fédéral en est conscient et en tient dûment compte.

Voici 726 ans que, selon la légende, Guillaume Tell tua avec son arbalète le tyrannique bailli Gessler, au service des Habsbourg. Depuis 1291, la Suisse n’a cessé d’évoluer et de progresser.

Lors d’une promenade, je me suis demandé avec amusement comment nous pourrions expliquer en quelques mots à Guillaume Tell, dans une lettre, où la Suisse en est aujourd’hui et les défis qu’elle doit relever. Je me suis demandé s’il se réjouirait que le chômage en est à son plus bas niveau, que nous connaissons une prospérité exceptionnelle et que nous exportons des biens aux quatre coins de la planète. Que les Habsbourg doivent aujourd’hui placer une vignette sur leur pare-brise s’ils souhaitent traverser les cantons primitifs. Que la Confédération compte actuellement huit millions d’habitants. 

Sans oublier, bien entendu, que nous vivons en paix avec nos voisins. Que nous avons conclu une panoplie d’accords avec l’Union européenne pour pérenniser notre prospérité.

Que, déterminés, nous entendons poursuivre sur cette voie, souveraine et indépendante, qui nous permet de nous placer sur un pied d’égalité avec nos principaux partenaires commerciaux.

Ou se réjouirait-il plutôt d’apprendre que le fédéralisme est intact. Que les régions ont conservé leur identité et que, par exemple, la marque «Valais» est synonyme d’excellence, de volonté et de caractère. Le Valais évoque aussi la nature et l’énergie, l’amour du pays et l’ouverture vers l’international, le ski et la coupe de Suisse de football, mais également les cultures florissantes que nous avons la chance de voir aujourd’hui.

Bien entendu, Guillaume Tell ne saurait connaître la coupe de Suisse, le ski ou la vignette. Mais, il serait ravi d’entendre que la Suisse est restée libre, que sa révolte a porté ses fruits et que l’esprit du Grütli reste vivant au sein d’un peuple uni.

Vous voyez, ma lettre à Guillaume Tell aurait raconté l’histoire de notre réussite.
Elle aurait été empreinte de fierté, à juste titre. Mais elle aurait également comporté des notes de modestie et de gratitude.

Dans ma lettre, je lui aurais également raconté mon voyage du mois de juillet qui m’a emmené en Russie, en Indonésie, en Arabie saoudite et aux États-Unis. Mon objectif était de renforcer encore notre réseau commercial international. Lors de ce voyage, confronté aux différences de niveaux de vie, j’ai pris conscience une fois de plus de la chance que nous avons de vivre en Suisse.

Parfois, le sort s’en mêle. C’était le cas en avril dernier, lorsque l’hiver a décidé de faire son retour, et que des gelées nocturnes ont détruit, complètement ou en partie, la récolte, grevant les revenus de bon nombre de familles de paysans.

Le Conseil fédéral leur est venu en aide et a rapidement mis en place des mesures de soutien, notamment des crédits sans intérêt pour leur permettre d’assumer les frais d’exploitation et de faire des investissements.

À long terme, le plus important est de permettre au plus grand nombre d’avoir un emploi. De veiller à ce que notre système de formation reste à la pointe. De continuer de progresser dans les domaines où nous sommes les plus performants, au lieu de nous concentrer sur nos points faibles. En d’autres termes: nous devons toujours faire mieux, nous devons rester vigilants et nous devons être flexibles. La bonne nouvelle, c’est que nous en sommes capables, nous le prouvons jour après jour. Et nous avons tous les atouts en main.

En somme, j’aurais expliqué à Guillaume Tell ce que les conseillers fédéraux ont l’habitude de dire le 1er Août. Mais ce n’était qu’une idée. Le nuage sur lequel il se trouve n’a pas d’adresse e-mail.

Qui sait, peut-être qu’un jour, la numérisation pourra quand même nous relier au nuage, au «cloud» depuis lequel Guillaume Tell nous regarde. Je m’empresserai alors de lui écrire pour lui raconter comment nous avons négocié le virage. Je me réjouis de lire sa réponse. Vous pourrez la lire aussi, je ne manquerai pas de vous mettre en copie.

Merci de votre attention.