La difficile primauté du droit étranger sur le droit Suisse

https://blogs.letemps.ch/alexis-pfefferle/2018/10/09/etre-demain-peut-etre-victime-de-la-suisse/

Être demain, peut-être, victime de la Suisse

La votation du 25 novembre 2018 sur « Les juges étrangers » approche à grands pas et inexorablement chaque camp jette dans la bataille ses dernières ressources.

A lire les fervents supporters de l’initiative sur les réseaux sociaux, aimer la Suisse, son histoire et ses institutions, en premier lieu celle de la démocratie directe, impose au citoyen patriote de voter pour la primauté du droit suisse, et tant pis s’il faut pour cela sacrifier la Convention européenne des droits de l’homme et son tribunal de Strasbourg.

Les lois de notre pays, la meilleure et la seule démocratie du monde, sont suffisantes me direz-vous.

Pourquoi devrions-nous nous soumettre à des décisions de la Cour Européenne des droits de l’homme de Strasbourg ?  Diable, Strasbourg c’est l’Europe.

Et bien ne parlons-pas d’Europe, ne parlons pas de traités internationaux, ne parlons-pas des élites gauchistes et adeptes de la mondialisation.

Petite dystopie judiciaire

Parlons de John Elvis Rudaz (nom fictif mais néanmoins possible), valaisan de 30 ans, garagiste et membre actif de l’UDC depuis 10 ans.

John a fait intensément campagne pour le 25 novembre 2018, répétant inlassablement en meeting, lors de conférence, ou encore au comptoir de Martigny que la seule manière de sauver la Suisse du péril étranger était de voter pour la primauté du droit suisse.

Charismatique et avec quelques fulgurances, il a su convaincre au-delà de ses amis et par son concours l’initiative fut un succès inespéré avec 51% de votes positifs.

Cependant, peu après la votation, probablement en réaction à celle-ci, le parti socialiste et les verts firent une percée remarquable et se retrouvèrent de manière tout aussi inespérée avec une majorité populaire et parlementaire.

Forts de ce pouvoir, ils proposèrent des modifications de la Constitution et du code pénal qui prévoiraient désormais une peine de prison pour toute personne qui, publiquement, accuserait des personnes d’origines étrangères d’être la source de problèmes économiques, sociaux ou politiques en Suisse.

C’est ainsi que John, coutumier d’une rhétorique enflammée et soucieux de satisfaire son public lors d’une réunion du parti à Genève pointa du doigt la responsabilité des frontaliers français dans les problèmes économiques de la ville du bout du lac.

Ni une ni deux, il fut embarqué et jeté à Champ Dollon.

A qui profite le droit ?

Le procureur genevois, qui ne goûtait pas les cadeaux, requit l’emprisonnement pour un an et la dissolution de la section politique dirigée par John.

La Constitution récemment révisée ainsi que le code pénal étant clairs quant à l’illégalité des propos tenus, les arguments de John furent balayés en première tout comme en deuxième instance.

A l’orée de son appel au Tribunal fédéral, John changea de conseil pour un avocat genevois, un bobo PLR, comme il aimait les appeler, espérant ainsi amadouer la juridiction suprême.

Combatif, pétris de nobles idéaux et nostalgique d’un ordre juridique supérieur, son avocat plaida magnifiquement la liberté d’expression, la liberté d’association, l’interdiction de l’arbitraire, la persécution de la pluralité politique, la dérive d’une gauche fasciste et pour terminer, le respect qu’une nation comme la Suisse devrait accorder aux droits fondamentaux énoncés notamment dans la Convention Européenne des droits de l’homme.

Rien n’y fit.

En vertu de la primauté du droit Suisse, l’argumentaire fût balayé tout aussi sèchement que devant les instances précédentes et John fut condamné à purger son année pour avoir exprimé ses idées politiques.

Vous l’aurez compris, cet exemple n’était qu’une dystopie judiciaire.

Et vous, après le 25 novembre…

Toutefois, l’essence de cette histoire est que les lois de notre pays ne sont et ne seront peut-être pas toujours parfaites, tout comme parfois les règles des traités internationaux qui nous lient.

Abandonner le droit international pour combler une frustration politique c’est peut-être permettre l’application dans le futur de l’une ou l’autre des initiatives  qui nous ont conduits jusqu’ici, mais c’est surtout et certainement ouvrir la porte, comme dans l’exemple de John, à l’arbitraire et à l’injustice en Suisse contre les citoyens suisses.

Lorsque votre pays vous persécute, et la Suisse persécute parfois les siens, le dernier rempart face à l’injustice sont les Cours internationales, certes imparfaites mais neutres et indépendantes, comme ce à quoi nous aspirons.

Bon baiser de Suisse